Léo Derivot

Série photos "Ecrans de brumes" - Marseille 2022-2024 (série en cours)

De nos jours les écrans sont des fenêtres ouvertes sur une diversité visuelle époustouflante, en nombre, en vitesse, en variété. Entre images prisent à l’autre bout du monde ou pure création graphique, comme les jeux vidéo, ces interfaces, les écrans, sont devenus, de fait et désormais des échappatoires face à nos réalités qui peuvent nous échapper.  Nous y consommons un nombre inconsidéré d'images fixes et animées, nous nous y projetons, y vivons, y rêvons par procuration des expériences diverses et variées. Et ces images s’impriment en nous, créent des empreintes puissamment gravées dans nos imaginaires, nos corps et nos désirs.

 

L’évolution technique des « outils du visuel » affinant la frontière, la barrière entre réel et virtuel nous invite, si nous n’y prêtons garde, à nous perdre dans ces « fictions du réel » ainsi proposées. Ces outils, de plus en plus sophistiqués, à la pointe, nous proposent de nous divertir, ils nous cloisonnent et nous enferment dans la facilité du jeu, du rêve, nous excluant, insidieusement, du monde réel. 

 

Ma série, “Écrans de brume”, a pour objectif d’aller à l’encontre de cette fabrication d’illusions éthérées pour remettre au centre la « rencontre ». La rencontre d’images matérialisées, imprimées, texturées, avec un public, des spectateurs vivants, présents, une rencontre, qui soit susceptible d’ouvrir à la liberté d’imagination et à l’appropriation par chacun d’un monde-là, et bien là.

 

À travers un corpus varié d’images, je désire créer un univers pictural à partir des ces représentations impalpables. Parfois difficilement explicables ou identifiables ces photographies,  questionnent l'essence fragile et brumeuse des images, de l’existence, elles nous ramènent sans cesse à notre réalité propre d’être-là. Pour ce faire, j’emploie une méthode de travellings photographiques, je déplace mon appareil lors de prises de vues très  longues, je déplace d’autre part mon écran et l’oriente en fonction de mes désirs visuels. Ces gestes photographiques sont en partie liés à une maîtrise variable du médium et des images que j’utilise dans l’instant. Certaines d’entre elles sont construites par un pur désir visuel de ma part, d'autres proviennent du hasard de contenus qui apparaissent à l’écran et sont donc ainsi proposés à mon intuition, à ma réactivité, à ma spontanéité. 

 

Ce dispositif ainsi mis en place, me permet de « faire trace de flux temporels luminescents », en créant des mondes vaporeux d’où la lumière, née d’écrans naturellement noirs, a surgi en quantité déraisonnable d’informations. Je souhaite que cette manière d’appréhender le médium photographique à l’ère numérique soulève la question que j’ai mise en exergue au début de mon texte, soit, celle de la multiplication inconsidérée des images, et de son corollaire, notre boulimie de visuel. 

 

Je tente de créer des mondes oniriques, parfois angoissants, mais qui pourraient tout aussi bien, être drôles ou ironiques, afin que l’on s’y plonge et y voyage avec plaisir et conscience. 

 

Ces créations deviendraient dès lors, de « nouvelles empreintes puissamment gravées dans nos imaginaires, nos corps, nos désirs », des empreintes dans lesquelles notre raison aurait assimilé notre surexposition aux écrans.

 

Alors nous pourrions ensemble, pour un instant, le temps d’une exposition, d’un partage vivant, d’être à être, là, prendre le temps, prendre ce recul nécessaire afin d’espérer pouvoir lever les yeux de ces amas pixelisés, afin d’espérer un jour, regarder d’un œil curieux la beauté de ce monde malgré son âpreté parfois violente et angoissante, mais toujours si fragile et émerveillante.

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