Note de lecture pour la Revue Projet sur l'ouvrage de Manfred Spitzer : "Les ravages des écrans, pathologies à l'ère numérique", L'Echappée, 2019
Le psychiatre et neurologue allemand avait connu un écho considérable outre-Rhin lors de la sortie de son ouvrage « Digital demenz ». Il revient avec « Les ravages des écrans », critique globale des écrans et de la relation pathologique que nous entretenons avec eux. A l'heure où son compère français Michel Desmurget expose dans les médias la « Fabrique du crétin digital »1 en cours en soulignant les dangers des écrans sur les enfants, Manfred Spitzer élargit le spectre de la critique en présentant la « cyberdépendance », comme une « maladie de civilisation ».
Il la dissèque à travers ses impacts, protéiformes. Le « cyberstress » est distingué de la « cyberangoisse » ou de la « cyberchondrie » - l’hypocondrie allant croissante à mesure que l'on se renseigne en ligne sur nos symptômes – et, au gré des chapitres, tous les maux sanitaires et cognitifs liés à l'usage excessif des écrans sont évoqués, avec force études à l'appui : surpoids, baisse du sommeil, de la mémoire, de la vue, du QI... Les conséquences psycho-sociales et sociétales sont elles aussi mises en exergue : la baisse des résultats scolaires, les impacts des contenus violents et pornographiques, la hausse des dépressions, la perte de l'empathie et même le risque sur nos vies privées avec la collecte des données personnelles.
Dans sa révolte, Manfred Spitzer n'hésite pas à incriminer les responsables politiques qui ignorent ces « ravages » pourtant évidents et encouragent « l'école numérique » dont toutes les études sérieuses montrent l'inanité. Il dénonce aussi le discours des lobbies de l'industrie numérique qui poussent au « tout digital » et produisent des études visant à « semer le doute ». Ainsi outre la prise de conscience et les efforts de sensibilisation auxquels ce livre espère contribuer, l'auteur appelle à oser les interdictions là où cela s'impose, comme dans le cadre scolaire, la véritable solution consistant pour chacun à éprouver les bienfaits de la « déconnexion ». L'accumulation de chiffres et d'études dans des champs très divers laisse parfois le lecteur étourdi, mais peut-être est-ce la gravité du diagnostic qui génère ce malaise ? Manfred Spitzer va jusqu'à juger « l'implosion culturelle » en cours aussi dramatique que le réchauffement climatique, et à appeler ainsi les États européens à réagir tant qu'il en est encore temps...
- 1 Michel Desmurget, La fabrique du crétin digital, les dangers des écrans pour les enfants, Seuil, 2019