La fabrique du crétin digital

Michel Desmurget

Michel Desmurget est chercheur en neurosciences, chargé de recherche au CNRS et directeur de recherches à l’INSERM. En 2012 il s’intéressait aux effets de la télévision avec un essai intitulé TV Lobotomie : La Vérité scientifique sur les effets de la télévision (ed. Max Milo). Dans son dernier livre, La fabrique du crétin digital paru en novembre 2019 au Seuil, il élargit le propos et s’attaque aux effets des écrans et des pratiques numériques récréatives sur les plus jeunes générations.

Distingué par une mention spéciale du Prix Femina Essai, cet essai marque par la largeur des sources qu’il convoque un tournant décisif dans l’effort des acteurs de terrain que nous sommes pour alerter l’opinion publique sur les dangers des écrans.

Le constat est sans appel et unanime : les écrans nuisent à la santé, au comportement, à l’intelligence de tous, et en particulier des enfants. La numérisation à marche forcée imposée à l’école va à l’encontre de toutes les études qui démontrent qu’un apprentissage de qualité passe inévitablement par un professeur humain correctement formé (ce qui n’est hélas pas la logique dominante, rigueur budgétaire oblige). Qu’on se le dise :

« Ce que nous faisons subir à nos enfants est inexcusable. Jamais sans doute, dans l’histoire de l’humanité, une telle expérience de décérébration n’avait été conduite à aussi grande échelle. »

Richement documenté (des centaines d'études sont référencées !), Desmurget brosse ici un tableau complet de la littérature académique traitant des effets des écrans. Sa conclusion est simple : aucune étude scientifique fiable n’a jamais démontré les effets positifs des écrans sur les apprentissages ou le développement cognitif et social des enfants.

A l’inverse, de nombreuses études scientifiques fiables démontrent depuis des années les effets délétères, sous-estimés et croissants, des écrans et des contenus inappropriés sur les cerveaux de nos enfants et adolescents.

Sans parler même des options de régulation, d’interdiction ou de prise en charge de ces enjeux à une échelle collective, Desmurget fait le constat d’une urgence absolue : le temps est venu d’informer, d’alerter, de communiquer et de « dire à tous l’état du savoir disponible. » Son propos premier est celui du lanceur d’alerte :

« Il n’est ici question ni d’imposer ni d’interdire. Il ne s’agit que d’informer. À chacun ensuite d’arbitrer en se demandant si les avantages éprouvés outrepassent (ou non) les périls encourus. »

Desmurget s’attache d’abord à déconstruire le discours public dominant chantant les louanges des écrans, poussant à un équipement toujours plus profitable et nécessaire des familles et prônant pour le meilleur la responsabilité individuelle et le « bon usage » des écrans (« la vigilance raisonnée »). Chaque levier et argument utilisé pour maquiller ce qui relève en réalité d’un scandale de santé publique, est ici décrit et remis en perspective avec les pratiques déjà éprouvées des industries du sucre, du tabac, de l’alimentaire, entre autres.

Ce fonctionnement de l’industrie du doute est ici déplié par le menu et mis à jour et ce livre, espérons-le, fera date dans la déconstruction d’un discours dominant plaçant l’intérêt commun sous le joug d’intérêts économiques.

Desmurget montre bien la coexistence de cette influence médiatique d’une part, de sa novlangue habile à ringardiser l’ancien monde pour célébrer le nouveau (celui du tout numérique et de ses digital natives), et d’autre part la réalité d’une littérature scientifique absolument contradictoire et alarmante. Ou comment les familles et les individus que nous sommes se retrouvent de fait piégés par cette logique, incapables de percevoir la gravité de la réalité :

« La consommation numérique récréative des jeunes générations n’est pas seulement « excessive » ou « exagérée » ; elle est extravagante et hors de contrôle. Parmi les principales victimes de cette orgie temporelle, on trouve toutes sortes d’activités essentielles au développement ; par exemple le sommeil, la lecture, les échanges intrafamiliaux, les devoirs, les pratiques sportives ou artistiques, etc »

Sollicité de façon démesurée (Desmurget parle de « bombardement sensoriel ») notre cerveau souffre dans le même temps de la disparition des relations interpersonnelles, à une époque de la vie où son développement est pourtant absolument crucial. C’est peut-être le constat le plus glaçant : les enfants et les adolescents, populations les plus exposées aux écrans, en subissent les impacts cognitifs négatifs de façon irréversible, la plasticité du cerveau étant l'apanage de l'enfance et de l'adolescence. 

Face à cette situation, une seule solution pour stopper l'hémorragie : reprendre les rênes et vite ! A commencer par refuser de s’équiper en écran, car comme l'auteur l’indique : « À ce jour, aucune étude n’indique que la privation d’écrans à usage récréatif pourrait conduire à l’isolement social ou à quelque trouble émotionnel que ce soit ! ». Sans même évoquer une possible réaction politique et collective que nous appelons de nos vœux, Desmurget liste pour finir quelques conseils pratiques bien utiles que nous relayons ici :

  • pas d’écrans avant 6 ans
  • moins d’une heure par jour après 6 ans, et sous réserve que les contenus soient adaptés
  • aucun écran dans la chambre
  • pas de contenus inadaptés
  • aucun écran le matin avant l’école
  • aucun écran le soir avant de dormir
  • une chose à la fois : notre cerveau est fait pour faire une chose à la fois, alors appliquez ce principe.

Il est souvent reproché à Desmurget d'user d'un ton trop corrosif ou accusateur qui ferait fuir les parents. Les tenants de la seule responsabilité des utilisateurs et de la vigilance raisonnée parlent ainsi de "panique morale", de discours "apocalyptique"... Nous leur proposons de lire d'abord ce livre et de répondre ensuite avec nous à ces questions : "Jusqu'où souhaitons-nous aller dans l'équipement de nos enfants en écrans ? Voulons-nous attendre que la totalité de leur temps éveillé soit occupée par les écrans pour réagir ? Devons-nous seulement compter sur la bonne foi de l'industrie pour nous exposer les limites et les dangers d'une vie passée sur écran ? Sommes-nous à ce point déjà défaits pour confier à ces seuls outils le soin d'éduquer et de prendre en charge le futur de nos enfants ?"

Ce livre est le signe d'un combat, et comme tout lanceur d'alerte, Desmurget provoque et fait se lever ses détracteurs. Nous nous joignons à son propos et leur répondons que l'alerte doit être sonnée sans attendre, sous toutes ses formes. En ce sens cette parution se doit d’être saluée unanimement et diffusée le plus largement possible, puisse-t-elle faire bouger les lignes et provoquer un électrochoc salutaire !


Quatrième de couverture : 

La consommation du numérique sous toutes ses formes – smartphones, tablettes, télévision, etc. – par les nouvelles générations est astronomique. Dès 2 ans, les enfants des pays occidentaux cumulent chaque jour presque 3 heures d’écran. Entre 8 et 12 ans, ils passent à près de 4 h 45. Entre 13 et 18 ans, ils frôlent les 6 h 45. En cumuls annuels, ces usages représentent autour de 1 000 heures pour un élève de maternelle (soit davantage que le volume horaire d’une année scolaire), 1 700 heures pour un écolier de cours moyen (2 années scolaires) et 2 400 heures pour un lycéen du secondaire (2,5 années scolaires).
Contrairement à certaines idées reçues, cette profusion d’écrans est loin d’améliorer les aptitudes de nos enfants. Bien au contraire, elle a de lourdes conséquences : sur la santé (obésité, développement cardio-vasculaire, espérance de vie réduite…), sur le comportement (agressivité, dépression, conduites à risques…) et sur les capacités intellectuelles (langage, concentration, mémorisation…). Autant d’atteintes qui affectent fortement la réussite scolaire des jeunes.
« Ce que nous faisons subir à nos enfants est inexcusable. Jamais sans doute, dans l’histoire de l’humanité, une telle expérience de décérébration n’avait été conduite à aussi grande échelle », estime Michel Desmurget. Ce livre, première synthèse des études scientifiques internationales sur les effets réels des écrans, est celui d'un homme en colère. La conclusion est sans appel : attention écrans, poisons lents !

Michel Desmurget est docteur en neurosciences et directeur de recherche à l’Inserm. Il est l’auteur de TV Lobotomie (Max Milo, 2011) et de L’Antirégime (Belin, 2015), qui ont tous deux remporté un large succès public.

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