5G Mon amour

Nicolas Berard

Nicolas Berard, 5G Mon amour, Enquête sur la face cachée des réseaux mobiles, Le passager clandestin / L'âge de faire, 2020

Voici un livre d'utilité publique. A l'heure où le gouvernement français impose à sa population l'implantation de la 5G – rappelons ici que la Convention citoyenne a demandé un moratoire, et que deux Français sur trois le souhaitent aussi – l'ouvrage « 5G Mon amour » recèle d'arguments implacables face à l'absurdité d'un tel projet. Il permet aussi de comprendre, par les fils qu'il dénoue, l'empressement du pouvoir politique, l'unanimisme médiatique et l'extrême frilosité des agences d’État censées nous protéger.

En retraçant l'histoire du « lobby des ondes » et en exposant son immense pouvoir d'influence, Nicolas Berard prolonge avec force le travail fondamental entamé par Stéphane Horel dans « Lobbytomie : comment les lobbies empoisonnent nos vies et la démocratie »1, ou celui d'ONG comme l'Observatoire des Multinationales. Les industries de toutes sortes façonnent en permanence la prise de décision publique dans un rapport de force totalement inégal avec la société civile qui n'a presque aucun moyen – Lève les yeux en sait quelque chose… - et pourtant ce travail d'influence est très peu renseigné, très rarement mis à nu, ou alors souvent 50 ans plus tard quand tout est joué, comme dans les documentaires sur le lobby du tabac. L'industrie numérique a une influence sans pareille grâce, comme le rappelle judicieusement l'auteur, à son contrôle d'un très grand nombre de médias2.

Définition des normes sanitaires via le noyautage des commissions prétendument indépendantes chargées de les fixer – l'ouvrage s'ouvre sur l'hallucinante histoire de l'ICNIRP3 - ; influence politique directe via des élus de tous bords que l'on retrouve, avant ou après, à de hautes fonctions dans l'industrie numérique ; stratégie du doute avec les études financées à dessein pour entretenir la « controverse » scientifique et ainsi le doute dans l'opinion sur les dangers de la technologie, à l'instar du tabac, de l'amiante, des pesticides, et la liste est (trop) longue... ; et donc contrôle de médias influents : le lobby en faveur de la 5G apparaît pour ce qu'il est, un Leviathan.

Face à lui, quelques associations se battent avec leurs tout petit bras, et l'ouvrage ne manque pas de citer Priartem ou Agir pour l'environnement, à la pointe de ce combat depuis plusieurs années. Surtout, le livre aiguise les arguments des opposants dans son dernier chapitre « Vers une catastrophe sanitaire et écologique ? ». Il y est rappelé d'une part que l'impact des ondes électromagnétiques sur la santé (notamment la prévalence de cancers) des êtres vivants est démontré par nombre d'études (indépendantes !), et d'autre part que l'impact écologique de la 5G s'annonce dramatique : trois fois plus énergivore que les réseaux existants d'après les chercheurs du Shift Project Jean-Marc Jancovici et Hugues Pierreboeuf, qu'on ne saurait soupçonner d'être des « Amish ».

 

Enfin, l'ouvrage montre très bien le projet global derrière celui de la 5G, et qui permet de comprendre l'ampleur des enjeux. Derrière, il y a la « Smart City », LE narratif d'une large coalition d'industries pour nous rassurer face aux catastrophes écologiques tout en continuant à accumuler des profits. Ainsi les lobbies du nucléaire (car c'est l'énergie électrique essentiellement qui alimente le numérique), de l'automobile (pour la relance par la voiture autonome), du bâtiment (bientôt « intelligent ») et bien sur du numérique, national et étranger (inutile de rappeler le poids des Gafam4) chantent en cœur la chanson du bonheur par la reconnaissance faciale, la brosse à dent connectée et la voiture sans chauffeur...

On regrettera seulement dans la forme l'usage du tutoiement, qui rebutera sans doute certains lecteurs et pourra nuire à la crédibilité de l'ouvrage, pourtant très bien documenté. En complément de cette lecture néanmoins indispensable, on recommandera l'excellent numéro spécial 5G de la revue Kairos et l'exhaustif travail de Gauthier Roussilhe dans son rapport « La controverse de la 5G ».

Merci à Nicolas Berard pour cette salutaire enquête.

***

1Stéphane Horel, Lobbytomie, comment les lobbies empoisonnent nos vies et la démocratie, La Découverte, 2018

2On rappellera à toutes fins utiles que : Xavier Niel (Free) possède Le Monde, Télérama et Courrier International, Patrick Drahi (SFR) possède Libération, L'Express, BFMTV et RMC, tandis que Bouygues possède TF1 et LCI.

3« Commission Internationale sur la protection contre les ondes non ionisantes », mandatée par l'OMS et contrôlée par l'industrie au moment de la fixation des normes encore en vigueur...

4Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft