Notre réponse à l'interview de Madame Lalo dans le Monde

Les médias donnent régulièrement la parole à des personnalités se revendiquant "expertes"qui diffusent allègrement le discours de l'industrie numérique, taillé sur-mesure pour"semer le doute" dans l'opinion sur les effets néfastes des écrans.

(Image extraite de la web-série "l'ami des lobbies")

Les médias donnent régulièrement la parole à des personnalités se revendiquant "expertes"qui diffusent allègrement le discours de l'industrie numérique, taillé sur-mesure pour"semer le doute" dans l'opinion sur les effets néfastes des écrans. Pour nos associations, engagées au quotidien auprès des familles et des établissements scolaires débordés par l'explosion du temps d'écran et toutes ses conséquences dramatiques, voir ces discours relayés dans des médias aussi importants que Le Monde est un véritable crève-cœur, car ils viennent saper non seulement notre message, mais aussi notre confiance dans l'avenir du débat démocratique.

Pourtant, ce piège de la parole dite "scientifique" mais vouée à défendre les intérêts des lobbies, a été très bien démontré en France par des journalistes de ce même journal, notamment Stéphane Foucart et Stéphane Horel dans Les Gardiens de la raison (co-écrit avec Sylvain Laurens)... 

Après une interview passablement choquante de Mme Lalo publiée dans les pages Pixels du quotidien français de référence, le 9 février dernier, où l'on retrouve toute la panoplie des arguments des lobbies, l'association amie de Lève les yeux, CoSE, a rédigé une lettre au Monde ainsi que ses propres réponses aux questions de la journaliste dans l'espoir de les voir publier, ce qui a été refusé par le journal (qui a toutefois publié la brillante tribune de Michel Desmurget identifiant bien le problème : "Temps d'écran : Cessons de cultiver le scepticisme").

Lève les yeux a contribué à la rédaction de la lettre du CoSE et l'a cosignée. La voici rendue publique.

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Réponse à l’interview de Madame Lalo dans le Monde.fr du 9 Février 2021

Madame Lalo dans l’article publié dans Le Monde.fr (« la question du temps d’écran c’est le degré zéro de l’analyse ») met à plusieurs reprises en doute le travail d’alerte que nous sommes nombreux à promulguer sur les dangers que représentent les écrans pour les enfants.

Ses arguments sont pourtant aussi vides que son titre : aucune référence à un quelconque travail, aucune étude n’est énoncée dans ses réponses. Madame Lalo préfère utiliser le degré zéro du débat scientifique pour discuter des effets des écrans sur le développement de l’enfant. Dommage que la journaliste n’ait pas demandé à Madame Lalo ses sources.

Il existe en effet de nombreuses études aux Etats Unis, en Australie, au Canada ou en Thaïlande, publiées en anglais dans « Pub Med » (publications avec comité de lecture et experts) qui relient des temps d’écrans excessifs à des effets néfastes sur la santé de l’enfant. Ci-dessous quelques références dont nous conseillons la lecture à Madame Lalo :

En 2016, Ben Carter publie dans une méta-analyse sur 125 198 enfants de 6 à 19 ans des troubles du sommeil (quantité et qualité) d’autant plus importants que les enfants sont sur les écrans. On rappelle qu’altérer le sommeil de l’enfant c’est toucher à son apprentissage et à sa santé !

En 2018, Jean Twenge, montre sur 40 337 américains de 2 à 17 ans que lorsque le temps passé devant les écrans est excessif, de nombreuses capacités socio-émotionnelles et cognitives s’affaiblissent : la curiosité, le self contrôle, la stabilité émotionnelle, l’empathie. En revanche, la distractibilité augmente. Tous les paramètres de la santé psychique et physique sont touchés quand le temps d’écran s’allonge.

Les études chez les plus jeunes sont particulièrement alarmantes. Par exemple en 2020, Sheri Madigan établit dans une méta-analyse sur 18 905 enfants, une corrélation entre temps d’écrans et retard de langage.

L’énumération de ces études est fastidieuse mais nécessaire devant le message sans référence de Madame Lalo. Comment peut-on écarter les centaines d’études que Michel Desmurget expose dans son livre méthodiquement et avec références ? Pourquoi dénigrer les alertes des professionnels de terrain ? Il est facile de critiquer les constats cliniques des médecins de jeunes enfants exerçant dans des milieux populaires, quand, comme Madame Lalo, on voit essentiellement des adolescents de milieux aisés en vidéo-consultation.

Chaque jour, en consultation de pédiatrie (enfants de 0 à 16 ans) nous devons aborder la gestion des écrans dans les familles. Les parents ne savent plus que faire tiraillés entre les demandes de leur enfant et la nécessité de les protéger comme ils le font dans le monde réel. La gestion des écrans est source de conflits car les parents constatent des troubles du sommeil, des troubles du caractère, des difficultés scolaires voire des décrochages. Cela est une réalité de terrain quels que soient les milieux et toute personne qui travaille auprès des enfants (médecin, enseignant, psychologue, orthophoniste…) est confrontée à ce constat. Madame Lalo, nous ne voyons sans doute pas les mêmes personnes et nous n’avons sans doute pas les mêmes intérêts ! Des messages rassurants comme les vôtres et dénonciateurs envers d’autres professionnels déstabilisent les parents et brouillent les messages au profit de l’industrie du numérique.

La dernière partie du livre de Michel Desmurget contient de nombreux conseils pour les parents. Notre site CoSE donne selon les âges des recommandations sur la gestion des écrans inspirées de l’Académie américaine de pédiatrie notamment. Les parents sont en demande d’informations cohérentes, formulées par des professionnels sérieux de l’enfance qui ont d’ailleurs trop peu souvent la parole pour délivrer leurs messages. Serions-nous dérangeants face aux géants du numérique qui savent trouver les « experts » qui  conviennent ? Quelles sont les conseils de Madame Lalo ? « Laissez faire », « open bar, vous verrez tout ira bien » ! Aucune distinction d’âge n’est précisée. A lire cette interview tous les enfants de 0 à 16 ans ont les mêmes besoins ! Les parents ont de quoi être perdus. L’enfant comme l’adolescent a besoin de protection et de repères ; Limiter le temps passé devant les écrans est donc donner un cadre indispensable à l’être en devenir, c’est un des besoins fondamentaux de l’enfant.

S’il nous était possible de répondre nous aussi aux questions de Madame Duneau, nous aurions dit :

L’explosion du temps d’écran, en particulier chez les plus jeunes est-elle un problème ?

Oui. La multiplicité de l’offre et des supports a conduit à l’explosion du temps d’écran. Pourtant le temps de veille des jeunes enfants n’a pas changé. Ce temps d’écran est donc pris aux dépens des temps essentiels du jeune enfant : son temps de sommeil, son temps d’activité physique, son temps de relation avec sa famille et ses pairs. Le retentissement sur leur santé est inévitable.

Pourquoi la gestion du temps d’écran est-elle un tel sujet d’inquiétudes ?

Parce que les parents ont bien conscience des effets particuliers des écrans sur leur enfant : sur leur attention, sur leur humeur… D’ailleurs ils sont aussi bien conscients qu’ils passent eux aussi trop de temps sur leurs propres écrans.

Pourquoi est-ce un problème pour les parents de se focaliser sur cette question du temps d’écran ?

Le temps d’écran n’est pas le seul élément à prendre en compte. Le contexte et le contenu sont importants si ce temps d’écran reste modéré. Si le contenu est réellement pédagogique et qu’en plus il est partagé entre le parent et l’enfant, il n’y a aucun doute que ce moment peut être profitable aux parents comme aux enfants. Évidemment, tous les contenus ne se valent pas. Mais dans la réalité, 90 % des contenus regardés sont du divertissement. Les enfants préfèrent rarement Wikipedia à Fortnite... Ainsi la question du temps d'écran, qui paraît simpliste à première vue, est tout à fait pertinente. Déplacer le débat sur le « bon usage » contre le « mauvais usage », c'est le cœur de l'argumentation de l'industrie numérique pour tenter d'éluder le problème.

Cette question du temps d’écran est-elle uniquement une préoccupation qui concerne les enfants ?

Non, une notion récente peu connue est celle de « technoférence ». Elle désigne l’interruption des relations familiales par un objet numérique. Cette interférence produite par l’utilisation des écrans des parents nuit aussi bien au bien-être du couple qu’aux interactions précoces mère-enfant au cours de l’allaitement…

La question du temps d’écran des enfants comme celle des parents restent la base de la prévention des effets négatifs : tant qu’il reste modéré, il respecte les autres besoins essentiels. Soutenir les parents dans leurs tentatives quotidiennes de limiter les temps d’écrans de leurs enfants est indispensable pour en limiter les effets.

Le Collectif Surexposition écrans (CoSE) : site internet : http://www.surexpositionecrans.org/

Les signataires du collectif : Dr Lise Barthélémy pédopsychiatre à Montpellier, Dr Marie-Claude Bossière, pédopsychiatre, praticien hospitalier à Paris ; Dr Sylvie Dieu-Osika pédiatre à Rosny sous bois et à l'hôpital Jean Verdier APHP à Bondy, autrice de « les écrans : mode d’emploi pour une utilisation raisonnée en famille », Dr Anne lise Ducanda médecin de PMI, Sabine Duflo psychologue et thérapeute familiale, autrice de « il ne décroche pas des écrans, méthode des 4 pas », Dr Bruno Harlé pédopsychiatre à l’hôpital de Saint-Cyr-aux-Monts-d’Or, Dr Eric Osika pédiatre à Bry sur marne et responsable du livre de Laurence Pernoud » J’élève mon enfant », Catherine Vidal, psychologue de l’éducation nationale dans le Loiret.

Autres signataires :

  • Yves Marry cofondateur de l’association Lève les yeux !

  • Julie Perel Nedelec pour le collectif OPE (Orthophonie Prévention Ecrans)

Nb : toutes les études scientifiques que nous évoquons dans notre article ou qui sont la base de nos recommandations sont disponibles sur simple demande auprès du site CoSE.