Après plus d'un an de quasi confinement et de réunions en visios, Lève les yeux ! a pu à nouveau organiser une rencontre en chair et en os. Cela s'est passé le jeudi 21 octobre à la Librairie Cariño, dans le 10e arrondissement de Paris, en présence de l'essayiste Karine Mauvilly à l'occasion de la réédition de son ouvrage, "le désastre de l'école numérique" (co-écrit avec Philippe Bihouix), publié en poche au Seuil. Comme d'habitude, les smartphones étaient isolés dans les pochettes Yondr, permettant une belle qualité d'écoute.
Une vingtaine de personnes a fait le déplacement, certaines ont ainsi pu découvrir ce très joli café-librairie fondée par Melisa Chali-Guerrien, faisant la part belle aux ouvrages et aux pâtisseries venus d'Amérique latine, terre natale de Mélisa.
Yves Marry, cofondateur de Lève les yeux, a introduit la soirée en rappelant l'investissement de Lève les yeux et du Collectif Attention dans la lutte contre la numérisation de l'éducation, avec notamment la "Campagne pour une éducation humaine au XXIe siècle" menée à l'occasion des élections régionales et départementales en juin 2021. La prise de conscience de l'absurdité d'une éducation "par le numérique" est relativement récente dans l'opinion, et l'ouvrage de Karine Mauvilly, dont la première version a été publié en 2016, fut l'un des premiers à poser sur papier l'ensemble des raisons qui poussent un nombre chaque jour croissant de gens à rejeter cette orientation, imposée sans consentement citoyen.
Ces raisons, l'autrice de Cyberminimalisme (publié dans la collection Anthropocène du Seuil en 2019, accès ici à la note de lecture Lève les yeux), n'a pas manqué de les rappeler : aucun apport pédagogique constaté, une aggravation des dégâts sanitaires liés à la surexposition aux écrans, un coût écologique massif (tablettes rapidement obsolètes et immense impact énergétique du numérique), et des investissements économiques qui, dès lors, interrogent : pourquoi de telles dépenses dans un projet apparemment inutile à l'heure où les coupes budgétaires tombent de toutes parts, et où l'éducation nationale ne manque pas de besoins...? La seule véritable motivation des gouvernements successifs, toujours très allants dans ce domaine, semble bien être le soutien économique à une filière, celle de l'industrie numérique, et en particulier à celle, émergente, des "Ed Techs" (technologies de l'éducation). Une certaine naïveté vis-à-vis du "progrès", nécessairement numérique, est aussi en cause. Les élus locaux, de leurs côtés, voient d'un bon œil le "cadeau" d'une tablette ou d'un ordinateur aux administrés, relayant avec enthousiasme les mesures venues de l'Union européenne et du gouvernement.
Après l'exposition des enjeux clés développés dans le livre par l'autrice, les personnes présentes ont pu poser leurs question. La question revient souvent : mais le numérique n'est-il pas l'avenir de ces jeunes, quoi qu'on en pense ? Ne faut-il pas les habituer dès le plus jeune âge ? Et la réponse de suivre : tous les grands ingénieurs se sont mis à l'informatique tardivement, vers 14 ou 15 ans, ils n'y ont pas baigné dès l'enfance. Au contraire, dans la Silicon Valley, la plupart des parents travaillant dans la "tech" imposent des règles strictes, sans écran jusqu'à 14 ans, et des éducations "Waldorf", sans aucune exposition numérique. Ils sont bien placés pour savoir que l'on apprend mieux avec des humains...
Le poids des lobbies est donc, lui aussi, évoqué. Avant d'aborder les pistes de solution : tenter de convaincre des syndicats d'enseignants, des élus, pour que la voix critique porte davantage. Élodie et Safia, deux enseignantes membres de Lève les yeux, déplorent leur isolement, constatant que la majorité de leurs collègues subit le "tout numérique" (cours, mais aussi échanges d'information avec les familles et avec l'établissement) sans oser s'opposer.
Les sources d'espoir sont minces face au "rouleau compresseur" du numérique, mais ces petits moments de réunion "réelle", dans des lieux comme les librairies, en font partie...
Cette soirée a été organisée par Fanny et Maria Fernanda, membres de Lève les yeux, et cet article rédigé par Yves Marry, le 19/11/21
L'association remercie Mélisa et Frederic, de la Librairie Cariño, pour leur accueil, ainsi que Karine Mauvilly pour son travail et sa disponibilité