Nelly Garnier soutient la proposition relative au droit à la protection de l’attention, conformément au programme porté par la candidate qu’elle soutient, Valérie Pécresse. Dirigeant un laboratoire d’étude d’opinion dans une grande agence de communication et des médias, le modèle de la publicité n’est pas inconnu à la Conseillère de Paris. Toutes les grandes plateformes fonctionnent sur le principe du « quand un service est gratuit, c’est que c’est vous le produit » ; le produit étant massivement notre attention. Bien que Nelly Garnier ne soit pas antipublicité par principe, elle estime problématique que le produit soit l’attention des enfants. Elle a piloté le groupe de travail numérique pour le programme de Valérie Pécresse et a tenu à mettre une loi de protection de l’enfance qui aille au-delà de l’information et qui porte sur le design des plateformes, afin de les forcer à utiliser des designs moins addictifs. Il est crucial de reconnaître le monde numérique tel qu’il est conçu comme un produit addictif, de la même manière que le sucre, le gras, le tabac, les jeux en ligne, afin de pouvoir mettre en place une politique de prévention. Le modèle qu’elle défend est le Children’s Code mis en place en Grande Bretagne, qui permet la limitation des phénomènes d’addiction par défaut. Par exemple, sont installés par défaut l’interdiction de l’enchainement des vidéos, l’interdiction de notifications à partir d’une certaine heure, l’interdiction des techniques de nudge,… Tout ça pour limiter le « bad design ». Étant mère de famille, elle comprend la difficulté à tenir les enfants à l’écart de ces plateformes ; l’usage s’est massifié et au-delà de la pédagogie des parents, il faut s’inspirer des règles du Royaume-Uni qui essayent de forcer les plateformes à concevoir des designs qui soient le moins consommateur de données inutiles et essayer de limiter les pratiques dont on sait qu’elles sont addictives.
Après ces premières prises de parole et au regard des réponses apportées, Juliette Rohde constate non sans étonnement que les cinq intervenants, pourtant de couleurs politiques distinctes, semblent tous être d’accord ! La question qu’elle pose est donc la suivante : à votre avis, sur quoi vos familles politiques ne sont-elles pas d’accord sur ces enjeux liés au numérique ?
Pour Dominique Bertinotti, les lignes de fractures sont d’une part le rapport au productivisme et à la croissance, d’autre part la capacité à mettre en débat et à faire entrer de la codécision dans ces questions-là. Dans le milieu écologiste, l’idée est qu’il faut rompre avec ce productivisme et ce consumérisme qui est absolument destructeur de l’humanité.
Pour Maxime des Gayets, le sujet mérite d’être posé en tant que le numérique est aujourd’hui dans les mains du capitalisme. : la question du rapport au numérique comme technologie n’est pas problématique en soi pour le Parti Socialiste, mais elle pose de manière encore plus intense qu’avant la question du capitalisme et de la place du marché.
Juliette Rohde interroge les intervenants finalement sur la place des forces d’inerties à l’œuvre : contre quoi se bat-on quand on veut avancer sur la question du numérique ? Est-ce que les forces d’inerties sont en soi-même, au sein d’une famille politique ou dans la force du lobbying ?
Pour Emmanuel Maurel, le combat a lieu contre les forces du capital. Il rappelle que, comme l’ont démontré les travaux d’Hartmut Rosa, le capitalisme récupère immédiatement une innovation technologique pour aller vers un but précis : l’accumulation du capital. Pour lutter, la régulation seule ne suffit pas, il faut avoir des outils pour démanteler, collectiviser voire même déconnecter. Aujourd’hui la technologie est happée par le capital et les intérêts privés, c’est pourquoi les citoyens n’ont pas leur mot à dire. Là-dessus, il rejoint les écologistes : les questions du productivisme et de l’extractivisme sont problématiques. Le numérique entrave la transition écologique, il faut donc s’organiser politiquement pour résister à cette société de marché.
Nelly Garnier soulève quant à elle le problème de l’illectronisme qui concerne également les régulateurs et les législateurs qui souvent ne comprennent pas les enjeux du numérique. L’enjeu de connaissance et d’information concerne donc les citoyens aussi bien que les décideurs.