DSA - DMA : faisons le point

Le 15 décembre 2020, l’exécutif européen a proposé une politique pour encadrer les géants du numérique qui se déploie sur deux volets : le Digital Services Act (DSA) et le Digital Markets Act (DMA). Les deux textes s’appliqueront à l’ensemble des pays de l’Union Européenne et à toutes les entreprises qui y opèrent.

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Le 15 décembre 2020, l’exécutif européen a proposé une politique pour encadrer les géants du numérique qui se déploie sur deux volets : le Digital Services Act (DSA) et le Digital Markets Act (DMA). Les deux textes s’appliqueront à l’ensemble des pays de l’Union Européenne et à toutes les entreprises qui y opèrent.

Le Digital Markets Act (DMA)

Qu’est-ce que c’est ?

Le DMA vise à lutter contre le monopole des grandes entreprises du numérique en renforçant la concurrence, et à réglementer la publicité ciblée. En effet, selon une estimation de la Commission européenne, il y aurait plus de 10 000 plateformes en ligne opérant sur le marché européen, et seulement une poignée d’entre elles capterait l’essentiel de la valeur générée par ces activités. Les quelques géants du numérique visés par le DMA sont qualifiés par la Commission de « contrôleurs d’accès » : le monopole de ces entreprises est tel qu’elles sont devenues des passages obligés pour bénéficier des avantages d’Internet, empêchant toute concurrence.

Qui est concerné ?

Les négociations ont porté principalement sur la définition de ces « contrôleurs d’accès », qui sont finalement caractérisés par :

  • Un fort poids économique (7,5 milliards de chiffre d’affaire dans l’Espace économique européen ou une capitalisation boursière / valeur marchande de plus de 75 milliards d’euros avec une activité dans au moins trois États membres).
  • Un contrôle d’un « service de plateforme essentiel » (messagerie, réseau social, moteur de recherche…) utilisé par au moins 45 millions d’Européens par mois et plus de 10 000 professionnels par an dans l’Union.
  • Une position « solide et durable » sur le marché, caractérisée par un dépassement des seuils prédéfinis lors des 3 années précédentes.

Les principaux concernés sont donc les Gafam (Google, Amazon, Facebook, Apple, Microsoft) ou encore des groupes comme Booking.com ou TikTok.

D'autres catégories sont prévues, notamment celle de « contrôleur d’accès émergent » qui pourra permettre d’encadrer certaines entreprises qui ont une position forte sur le marché mais pas encore durable ; les PME quant à elle seront exemptées.

Qu’est-ce qui va changer ?

Les conséquences directes du DMA dans l’utilisation des outils numériques sont multiples, mais les mesures convergent toutes pour empêcher les contrôleurs d’accès de favoriser leurs propres services et produits par rapport à d’autres. On peut noter :

  • La fin de l’installation par défaut des navigateurs ou moteur de recherche
  • La possibilité de supprimer des applications préinstallées sur les appareils
  • La possibilité de choisir la boutique d’applications, même sur iPhone.
  • La possibilité de choisir le moyen de paiement dans son smartphone.
  • Le déploiement de l’interopérabilité
  • La nécessité d’un consentement explicite pour utiliser les données personnelles d’un utilisateur à des fins de publicité ciblée.

Quand le DMA sera-t-il appliqué ?

Le 24 mars dernier, les négociations ont abouti à un accord entre Parlement et Conseil. Une fois l’accord provisoire adopté par ces deux instances, le texte pourra entrer en vigueur, et être appliqué 6 mois plus tard, probablement au printemps 2023 sur tout le territoire de l’Union européenne.

Et si les règles ne sont pas respectées ?

Les sanctions prévues par la Commission européenne s’élèvent jusqu’à des amendes d’un montant de 10 % du chiffre d’affaire de l’exercice précédent de l’entreprise, 20 % en cas de récidive. En cas d’infraction systémique, la Commission pourra également interdire l’achat d’autres entreprises pendant une période donnée.

Le Digital Services Act (DSA)

Qu’est-ce que c’est ?

Le DSA touche plus directement les utilisateurs puisqu’il tend à limiter la diffusion de contenus et produits illicites en ligne, en donnant une part de responsabilité aux plateformes et en uniformisant les législations nationales en place dans les États membres. Les contenus préjudiciables (désinformation, manipulation…) quant à eux ne seront pas supprimés (au nom de la liberté d’expression) mais leur propagation sera limitée au maximum.

Qui est concerné ?

Le DSA s’appliquera à toutes les entreprises proposant des « services intermédiaires » aux utilisateurs (réseaux sociaux, messageries, places de marché…), c’est-à-dire visera lui aussi principalement les Gafam, notamment des plateformes telles que Facebook ou Amazon. Des obligations supplémentaires sont prévues pour les hébergeurs, les « très grandes plateformes » (comptant plus de 45 millions d’utilisateurs actifs par mois en Europe), et les « très grands moteurs de recherche en ligne » (comptant respectivement plus de 45 millions d’utilisateurs actifs par mois et plus de 45 millions de consommateurs européens : des groupes comme Google (propriétaire de Youtube) ou Meta, propriétaire de Facebook et Instagram, seront confrontés à des audits annuels effectués par la Commission européenne.

Qu’est-ce qui va changer ?

Les conséquences du DSA concernent :

  • L’interdiction de la publicité ciblée pour les mineurs (la vérification de l’âge de l’utilisateur ne doit pas non plus conduire au traitement d’informations personnelles supplémentaires) ou bien celle basée sur des données sensibles (religion, sexe, opinion politique…).
  • L’ouverture des algorithmes à l’analyse des autorités
  • La simplification et la clarification des conditions d’utilisation
  • L’interdiction des « dark patterns », ces designs trompeurs qui poussent les utilisateurs à faire des choses contre leur volonté (par exemple, des paramètres de confidentialités obscurs, des cases déjà cochées, des paramètres de désinscription compliqué, des boutons qui incitent à l’acceptation des cookies…).
  • La mise en place d’équipes de modération par les plateformes pour faire appliquer les lois existant « hors ligne », en ligne.
  • La mise en place d’un outil de signalement simple et direct et l’obligation de réaction rapide
  • L’obligation de coopérer avec des « signaleurs de confiance » (des organes, associations ou individus labellisés au sein de chaque État).
  • La nomination d’un « coordinateur des services numériques » au sein de chaque État qui pourra mener des enquêtes, saisir la justice et coopérer avec les autres coordinateurs.

Quand le DSA sera-t-il appliqué ?

Le 23 avril, les négociations entre Parlement et Conseil ont abouti à un accord provisoire. Le texte s’appliquera à partir du 1er janvier 2024 pour la plupart des plateformes (environ 15 mois après son entrée en vigueur), et 4 mois après leur désignation pour les très grandes plateformes en ligne et les très grands moteurs de recherche, en somme pour les Gafam.

Et si les règles ne sont pas respectées ?

Les sanctions prévues par la Commission européenne s’élèvent jusqu’à 6 % du chiffre d’affaire mondial de l’entreprise. En cas de manquements répétés, l’entreprise risque l’interdiction d’opérer sur le marché européen.

Dans quelle mesure ces textes entrent-ils en résonnance avec les propositions du Collectif attention ?

Ces textes n’ont pas pour but de lutter contre la surexposition aux écrans, qui constitue selon le collectif attention la racine du problème. Leur angle d’attaque est principalement économique : le problème posé par les géants du numérique pour les dirigeants européens est celui de leur monopole sur le marché, que le DMA vise à réduire. Du côté de la lutte contre la diffusion de produits et contenus illicites, il s’agit également de lutter en premier lieu contre la contrefaçon et la désinformation, deux problèmes majeurs mais conséquences du déploiement du numérique. Cependant, on peut noter l’importance de ces textes en ce qu’ils constituent, pour la première fois, une tentative de réglementation du « Far West » numérique qui jusqu’à présent bénéficiait d’une absence de règles, de contrôle ou de limitations. En amoindrissant le poids économique des grandes entreprises du numérique, ces textes tendent également à redonner aux utilisateurs une marge de manœuvre plus grande : choix des applications, possibilité de désinstallation, pouvoir de refuser plus simplement la publicité ciblée, fin des « dark patterns » et de leurs manipulations insidieuses…

Sources :

  • DSA-DMA : Comment l'Europe va changer les règles d'Internet et des réseaux sociaux (Presse Citron)
  • Numérique : que sont le DMA et le DSA, les projets européens de régulation d'Internet ? (Toute l'Europe)
  • Digital Markets Act : feu vert des institutions européennes pour mieux encadrer les pratiques des Gafam (Les numériques)
  • Un accord provisoire trouvé sur le Digital Services Act (Les numériques)
  • Dark patterns : comment les sites web nous piègent (L'ADN)