« La technocritique est de retour » : voilà enfin une bonne nouvelle ! Encore mieux, les auteurs de « Techno-luttes. Enquête sur ceux qui résistent à la technologie » (l’un a écrit « The Valley » commenté ici, l’autre est contributeur aux pages Idées de Libération) ne se contentent pas de l’annoncer, ils prennent le temps de le démontrer. Méthodiques et précis, les deux journalistes nous font rencontrer les hommes et les femmes, chaque jour plus nombreux, qui s’élèvent contre l’emprise de la « Méga machine ».
Prolongeant en quelque sorte le travail de Nicolas Berard, journaliste à l’âge de Faire et auteur de 5G Mon amour (commenté ici), qui a publié en août « Ce monde connecté qu’on nous impose. Le comprendre et le combattre » (Editions Le passager clandestin), le livre dresse un panorama relativement exhaustif des initiatives de résistance face à la technologie en cette année 2022. Pour tous ceux qui, comme Lève les yeux – évoquée au chapitre 11 -, agissent au quotidien pour desserrer l’étau de l’emprise numérique, et qui ont souvent le sentiment de « prêcher dans le désert »[1], voir énumérées les personnalités et les associations actives donne du baume au cœur.
Car, comme le montre bien le livre-enquête, à mesure que le saccage du monde vivant et l’aliénation humaine progressent, la prise de conscience du rôle joué par la technologie semble suivre. Agriculture 4.0, surveillance électronique de masse, éducation numérique dès la maternelle, compteurs Linky, antennes 5G, « e-administration »… La numérisation du monde devient chaque jour plus évidente, et produit chaque jour en miroir davantage de maux : perte d’autonomie des paysans, atteinte aux droits fondamentaux, surexposition des enfants aux écrans, sensibilité aux ondes électromagnétiques, travail aliéné ou encore non-accès aux droits.
Ce qui pousse de plus en plus de gens, de tous âges et conditions tels des « gilets jaunes de la technocritique », à désirer un autre monde, où le vivant l’emporterait sur la machine. Ils sont aidés en cela par les précurseurs de l’écologie politique (les incontournables Jacques Ellul, Ivan Illich, Bernard Charbonneau), que le livre n’oublie pas de mentionner, et dont la pensée est savamment restituée, de même que par les maisons d’éditions (L’Echappée et La Lenteur) et penseurs contemporains rencontrés par les auteurs. On aurait aimé que le groupe Pièces et Mains d’œuvre (alias « PMO ») de Grenoble, référence majeure de la technocritique contemporaine, soit davantage présenté, mais une parfaite exhaustivité était sans doute impossible.
La gamme des modes d’action évoqués a aussi ses vertus enthousiasmantes. On (re)découvre avec joie les quelques victoires juridiques de la Quadrature du Net sur le front des droits fondamentaux, et on se glace d’effroi devant le rappel des verdicts pour ceux qui s’en prennent physiquement aux antennes relais, dont les peines vont jusqu’à deux ans de prison ferme.
En tout état de cause, dans le sombre ciel des périls climatiques, et face à l’inquiétant horizon d’un avenir toujours plus numérique, ce petit livre est une source d’optimisme bienvenue, une éclaircie salutaire. A quand l’enquête internationale, pour un bon rayon de soleil ?
[1] Pour reprendre les termes de Joël Decarsin, membre actif de Technologos, association active depuis 2012 dans la critique de la technologie (et membre du Collectif Attention), cité en conclusio