Dopamine Nation

Dr Anna Lembke

Recension de "Dopamine Nation - Finding Balance in the Age of Indulgence", Dr Anna Lembke. 

Les pays riches ont des taux d’anxiété plus importants que les pays pauvres. C’est à partir de ce constat choc (et paradoxal) que s’ouvre Dopamine Nation, dernier essai en date de la psychiatre américaine Anna Lembke.

Mais alors, quelles sont les origines de cette épidémie d’anxiété ?

Selon Anna Lembke, c’est justement parce que nous cherchons sans arrêt à nous faire plaisir que nous sommes malheureux. Le plaisir et la douleur sont deux sensations qui fonctionnent sur la même balance.

Et la balance souhaite se maintenir en équilibre (c’est le principe d’homéostasie). Si vous appuyez trop fort du côté du plaisir, vous allez expérimenter une “redescente” tôt ou tard. Ce phénomène est particulièrement marquant chez les consommateurs de drogues dures. Sur le court-terme, une piqûre d’héroïne promet une extase indescriptible au consommateur. Mais, sur le long-terme, la dépendance à cette drogue est bien entendue terrible pour la santé, tant physique que mentale. Ces fluctuations sont en partie liées à l’un des neuro-transmetteurs les plus connus de notre cerveau : la dopamine.

La dopamine est souvent considérée comme la “molécule du plaisir”, mais c’est aussi la molécule de l’envie. C'est la dopamine qui nous pousse à agir. Ce neuro-transmetteur a joué un rôle majeur dans notre évolution. Lorsque nous étions des chasseurs-cueilleurs vivants dans la savane, la dopamine nous poussait à chasser, à manger ou encore à nous reproduire. On peut donc la remercier pour les services rendus. Sauf que depuis ces temps pré-historiques, le monde a bien changé. Quand nos ancêtres vivaient dans un monde de rareté, la société post-industrielle est devenu tout l’inverse : un monde d’abondance. Les sources de dopamine sont désormais accessibles partout, et tout le temps. La junk-food, la pornographie ou encore la télévision jouent sur des ressorts primitifs de notre psychologie pour nous inonder de plaisir (le fameux Netflix & Chill). Le progrès technique n’y est pas pour rien. Nos smartphones sont des machines à dopamine accessibles à n’importe quel moment de la journée. Les ingénieurs de la Silicon Valley l’ont compris depuis longtemps, et nous bombardent de notifications et de stimulus toujours plus subtils pour satisfaire cette addiction. Résultat : notre équilibre plaisir-douleur est fortement perturbé. La multiplication des shots de dopamine enclenche un phénomène d’accoutumance. Il est de plus en plus difficile d’être satisfait… à moins d’augmenter les doses. Notre balance a toujours plus de mal à pencher du côté du plaisir.

Alors, quel est le remède, docteur ?

La psychiatre propose plusieurs pistes de réflexion. Pour rétablir l’équilibre de notre balance plaisir-douleur, elle nous suggère d’abord de sortir de notre “zone de confort”. Après tout, si nous sommes si malheureux à force de chercher du plaisir facile, peut-être faut t-il faire l’exact opposé : se mettre dans des situations inconfortables. Par exemple, la pratique du sport (qui demande un effort physique) est de plus en plus étudiée pour soigner les épisodes dépressifs (le rééquilibrage de notre balance se faisant cette fois du côté du plaisir). Le simple fait de prendre une douche froide le matin augmenterait durablement les niveaux de dopamine, tout en régulant l’humeur, l’appétit, le sommeil, etc. Ensuite, la psychiatre nous suggère de retrouver un sens de la connexion, déjà avec soi-même. Par exemple, sortir de chez soi sans smartphone peut sembler barbant au premier abord. Pourtant, réapprendre à s’ennuyer pourrait avoir des effets extrêmement positifs, comme pour la créativité.

Mais au-delà de se reconnecter avec soi-même, il faudrait plus largement que les individus parviennent à renouer un lien avec la société. Mais par où commencer ? Lembke propose peu d’idées sur ce plan-là, et c’est peut-être l’une des limites de son essai. On aurait aimé une analyse - et une critique - plus structurelle de la société actuelle. Finalement, on aurait presque souhaité que la psychiatre nous concocte un mini-programme pour donner aux décideurs et aux citoyens des plans d’action concrets ! Ça n’est pas le cas dans ce livre, et c’est peut-être là un acte d’humilité de sa part.

À travers son best-seller, Lembke cherche surtout à retranscrire ce qu’elle vit au quotidien : les histoires stupéfiantes de ses patients addicts à l’alcool, au sexe, ou plus récemment, aux réseaux sociaux, ainsi qu’une excellente analyse des mécanismes d’addiction grâce à ses talents de vulgarisatrice. Mais le problème posé par Dopamine Nation est colossal, complexe, et exigera sans doute des lectures complémentaires pour comprendre toutes les facettes de cette société de l’addiction.

 

Note de lecture rédigée par Victor Fersing, créateur de La Fabrique Sociale, le 6 février 2023.