Pendant des milliers d’années, nos ancêtres ont vécus dans des tribus de chasseurs cueilleurs dont la taille gravitait autour du nombre de Dunbar (environ 150). Les interactions entre membres étaient uniquement physiques. Tout le monde connaissait tout le monde.
On ne s’envoyait pas encore des likes sur Instagram. On ne conversait pas encore avec des robots. Nos interactions sociales étaient donc encadrées par des clôtures de Chesterton naturelles.
Voici une liste non exhaustive des clôtures de Chesterton de l’époque :
- Les interactions humaines ont lieu ailleurs que dans un environnement digital appartenant à des monopoles technologiques
- La vie de chacun n’est pas exposée au monde entier
- Le statut social d’une personne n’est pas réductible à des mesures étroites comme le nombre de coeurs Instagram ou de followers Twitter
- N’importe qui ne peut pas parler à n’importe qui 24h/24
- Lorsqu’on s’adresse à quelqu’un, on a la garantie que c’est un humain
En un claquement de doigts, les nouvelles technologies ont détruit ces clôtures. Certes, à première vue, c’était plutôt excitant. En 2004, Facebook était cool. “Connecter le monde”, comme l’exprimait Mark Zuckerberg, allait nous donner un monde meilleur, pas vrai ? Mais l’histoire de Chesterton nous apprend l’importance du principe de précaution :
- Si notre société s’en est sortie jusqu’à présent, c’est sans doute parce qu’elle est relativement bien faite
- Si nous voulons changer la nature des interactions humaines (sujet pour le moins complexe), il faut y aller petit à petit
Sauf que non. Visiblement, notre société n’a pas lu les histoires de G.K Chesterton. Tandis que le récit « Silicon-Valleyien », lui, avait le vent en poupe.
Cette idéologie a agit tel un rouleau-compresseur sur notre société. Nos anciennes clôtures naturelles ont été détruites pour donner place à une gigantesque expérimentation sociale : une société hyper-connectée dont la quasi-totalité des interactions est encadrée par des entreprises technologiques monopolistiques qui exploitent la neuro-chimie fragile de milliards d’humains afin de maximiser le ROI d’actionnaires au portefeuille déjà bien épais. Sans surprise, cette expérimentation a tourné au vinaigre.
Une liste non exhaustive des “externalités négatives” produites par l’indispensable enrichissement des actionnaires de Meta :
- Taux d’anxiété en plein boom chez les jeunes
- Destruction du temps d’attention sans précédent
- Polarisation politique croissante
Vu l’ampleur de ces externalités, on peut affirmer que le mal est fait. Mais nous pouvons au moins essayer de soigner les plaies. Pourrait t-on déjà essayer de protéger les plus jeunes, alors que l’arrivée fracassante de robots conversationnels dopés à l’intelligence artificielle menacent de nouvelles clôtures de Chesterton. Aujourd’hui, un enfant de 5 ans disposant d’un téléphone portable peut en quelques secondes s’inscrire sur Snapchat et échanger avec un robot. J’ai moi-même fait le test, en me faisant passer pour un enfant de 5 ans (je n’ai pas 5 ans). Des robots qui entrent dans l’intimité des plus jeunes ? Là, maintenant ? Sans aucune discussion préalable ? L’histoire nous rit au nez. Comme si notre premier contact avec les réseaux sociaux n’avait pas été suffisamment violent pour qu’on comprenne à quel point ces technologies nous dépassent.