Servane Mouton présente la manière dont elle aborde la question des écrans, c’est-à-dire à travers la question suivante : comment un objet si présent dans l’environnement perturbe-t-il le cerveau ? Et plus généralement, elle aborde la question du numérique en se demandant quel monde sera laissé aux futures générations.
Elle s’appuie sur la médecine et la neurophysiologie pour tenter de comprendre les effets des écrans sur le cerveau, qui est en maturation jusqu’à l’âge de 25 ans. Sur le plan cérébral, certaines périodes dîtes « critiques » sont essentielles pour un apprentissage optimal ; une fois cette période passée, l’apprentissage se fera moins bien. Les écrans interfèrent dans cet apprentissage de diverses manières : chez les tout-petits, s’ils interfèrent dans la relation avec les adultes référents pendant les premiers mois, cela conditionnera les modalités de relations de l’individu tout au long de sa vie ; par ailleurs, la manière dont les parents utilisent leurs écrans en présence de leurs enfants servira de modèle à ces derniers.
L’exposition répétée et prolongée aux écrans récréatifs en particulier dans l’enfance mais aussi à l’adolescence a un effet délétère sur les capacités attentionnelles, attentionnelles, ceci compromettant tous les autres apprentissages (langage, concentration, mémoire, etc.). Ainsi les fonctions cognitives qui permettent de penser le monde et d’interagir avec lui (attention vient du latin « attendere » : « tourner son esprit vers ») sont mises en mal, ce qui pose la question suivante : quelle humanité pour demain ?
Plus globalement, la technologie pose trois problèmes de santé publique :
- impact visuel avec une épidémie de myopie pédiatrique : observée d’abord en Asie, elle serait due en grande partie au manque d’exposition à la lumière naturelle et à la surexposition à la lumière artificielle, auxquels contribue fortement la surutilisation des écrans.
- sédentarité excessive et risque cardiovasculaire : en France, 50 % des moins de 18 ans ont un niveau de sédentarité trop élevé et un niveau d’activité physique insuffisant, ce qui favorise les problèmes cardiovasculaires, ACV (infarctus du myocarde notamment), ainsi que le surpoids, l’obésité, le diabète, eux-mêmes étant des facteurs de risque cardiovasculaire. Or la sédentarité est évaluée dans la plupart des études chez les moins de 18 ans par le temps d’écran en dehors des heures scolaires.
- altération de la qualité et de la quantité du sommeil : le sommeil est un pilier de la santé, le manque chronique de sommeil favorisant notamment les maladies cardiovasculaires, le surpoids, l’obésité, le diabète, l’anxiété, les maladies infectieuses etc. De plus, dormir mal ou insuffisamment altère les capacités attentionnelles, ce qui retentit sur les apprentissages scolaires.
Servane Mouton insiste également sur les impacts environnementaux du numérique : les émissions de gaz à effet de serre (entre 2,5 et 4% de l’impact carbone mondial), la consommation d’eau, l’exploitation des mines pour l’extraction des matières premières, mais aussi les impacts indirects liés à l’accélération de tous les échanges commerciaux et communicationnels à notre époque.
Il est donc crucial, et c’était l’objet du livre collaboratif, dont elle a coordonné la rédaction Humanité et numérique : les liaisons dangereuses (Éditions Apogée, 2023) de réfléchir à la place que l’on veut donner à ces technologies dans nos vies et au sens de leur utilisation.