Les Pizzlys, de Jérémie Moreau (Delcourt, 2022)

Note de lecture par Aude-Lise Bémer

Volutes de rose et de vert émergeant depuis une forêt d'ombres, trois silhouettes qui traversent un ciel étoilé et un titre énigmatique. Que serait donc un pizzly ? Une créature fantaisiste inventée par l'auteur pour embarquer le lecteur dans son univers onirique ? La créature est pourtant bien réelle, fusion du grizzly et de l'ours polaire, un animal hybride. Une reproduction opportuniste directement liée au réchauffement climatique qui, en provoquant la superposition de leurs aires de répartition, façonne ces hybridations.

Des pizzlys épinglés comme un symbole de mutation dans la BD du multi primé Jérémie Moreau qui signe le scénario, le dessin et les couleurs éblouissantes de cette fable écolo-humaniste dans laquelle une fratrie parisienne embrumée dans une routine numérique lentement disjoncte. Le grand frère peine à payer les factures comme chauffeur de VTC, éclusant ses journées dans le vortex cubique de son GPS ; sa soeur absorbe tout son temps libre dans la contemplation livide de son smartphone, à côté et pourtant si distante du petit dernier dont les pouces ne quittent jamais sa console de jeu. La fratrie est sauvée in-extremis par une Alaskaine de retour au pays après une vie d'absence, qui les embarque tous les trois dans un quotidien où la valeur d'un individu se mesure à sa capacité de survie et à sa compréhension du vivant. Les trois frères et soeurs réapprennent la vie au sens noble du terme, à se reconnecter à leur sens et à leur âme ; et c'est alors que la BD prend un tour onirique, matinée de rêves chamaniques et de réincarnations prémonitoires. Tandis que l'aîné part à la recherche de sa boussole intérieure, le petit frère lâche ses mondes virtuels pour la faune en 3D, et sa soeur troque les réseaux sociaux contre une amitié vibrante avec une fille de son âge qui lui envie sa légèreté, voire sa futilité d'occidentale.

À dévorer sans tarder si l'on veut, nous aussi, échapper à l'hybridation et reprendre le contrôle de notre propre métamorphose.