Yves Marry part d’un diagnostic : le débat public s’invite désormais sur les plateformes numériques qui affectent le rapport à la vérité, remettant ainsi en question les fondements du dialogue démocratique.
Matthieu Amiech commence son intervention avec l’idée d’un « recul démocratique », qui peut être observé sous deux angles : le premier étant le recul des libertés civiles face au développement technologique ; le second, plus spécifiquement, le rôle des réseaux sociaux dans le coulissement du débat public.
Dans un premier temps, Matthieu Amiech montre que nous assistons à une destruction de l’espace public. Non pas que l’on puisse se référer à un hypothétique « âge d’or » du débat public, mais il est possible d’évaluer cette destruction à l’aune de l’abandon des promesses historiques qui avaient entouré la promotion du débat public : presse libre, clubs de discussion, bourses du travail, etc. Certes, à l’époque où ces promesses étaient faites, nous vivions déjà dans ce que Cornelius Castoriadis appelait à juste titre une « oligarchie libérale ». Mais, en cette oligarchie, un certain nombre de garanties existaient, qui préservaient les citoyens de l’arbitraire du pouvoir. Nous assistons donc sinon à une disparition, du moins à une diminution de ces garanties, et évoluons vers une société qui, d’un point de vue politique, ne peut plus être qualifiée de « libérale ». Dans cette évolution, ce n’est pas seulement l’État qui joue le rôle de moteur ; c’est, fondamentalement, le système technologique, par la vidéosurveillance, l’exploitation des données, leur traçabilité toujours plus précise, les assistants vocaux, la possibilité d’activer à distance les micros des outils numériques, et le portefeuille d’identité numérique (dont Matthieu Amiech montre qu’il n’est pas sans lien avec le projet Safari en 1974, si ce n’est que celui-ci avait rencontré de vives oppositions, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui), etc. Tout cela manifeste une mutation anthropologique.
Que font les lois ? Elles ne font plus que « recouper ce que la technologie permet », sous l’égide de partis qui se réclament paradoxalement d’une tradition libérale de préservation des libertés civiles. M. Amiech cite ici Marcuse, qui rappelait que « les libertés civiles […] sont rendues surannées par le développement technologique ». Ce glissement vers l’e-libéralisme est induit par des usages technologiques ordinaires, usages qui masquent le fait que ces dispositifs changent les sociétés, les types d’êtres humains, les idées, et constituent ainsi dès ce niveau-là un véritable danger et non, comme le pense une majorité, dans leur usage possible, à l’avenir, par l’extrême-droite.
Dans un second temps, Matthieu Amiech évoque les personnes qui sont aux manettes des réseaux sociaux et emploie une expression tirée de l’ouvrage éponyme de Giuliano Da Empoli : « Les ingénieurs du chaos ». Ces derniers nous placent dans un état d’incertitude et de manque permanent. Pourquoi ? Parce que, comme l’écrit l’auteur, « la simple contemplation de la réalité n’occupe pas assez de temps ».
Les réseaux sociaux et leur fonctionnement nous conduisent à revenir sur l’idée qu’Internet serait un outil au service de la démocratie et de l’horizontalité : nous assistons au contraire à un véritable phénomène de déstructuration et de perversion du débat public. Ils favorisent les théories conspirationnistes, nous enferment dans des couloirs d’opinions, et c’est pourtant à eux que l’on confie le soin de faire la police, de jouer les modérateurs. On est finalement au cœur d’un « double bind » (double contrainte), surtout pour les plus jeunes.
En conclusion, Matthieu Amiech nous invite à faire attention à l’illusion d’une supposée prise de conscience au sommet de l’État. Ces nouveaux éléments de discours signalent plutôt selon lui l’intégration du problème dans un discours gestionnaire, à une époque où ne pas opérer cette intégration est devenue impossible (au sens où il est devenu indéniable que les écrans ont des effets délétères). On assiste à une logique similaire avec le réchauffement climatique : les acteurs de l’industrie utilisent le réchauffement climatique pour prôner un redéploiement de l’industrie autour d’énergies décarbonées.