Chronique d'ateliers : décembre 2024

Depuis 2019, Lève les yeux anime des ateliers de prévention auprès des enfants et adolescents, au sein des établissements scolaires ou des centres sociaux. Les intervenants sont ainsi les premiers témoins de l’évolution des usages numériques des plus jeunes, ainsi que des impacts sur leur santé physique et mentale ou sur leur vie sociale. Nous avons décidé de vous donner un aperçu de l’ampleur des dégâts causés par la surexposition aux écrans, en vous partageant les retours de terrain de nos intervenants. Voici donc la première chronique d’ateliers Lève les yeux, des mois de novembre et décembre 2024.

Enfants de 6-7 ans, classes de CP – Aude-Lise

Premier groupe de 12 enfants dont 3 allophones. Beaucoup d'écrans et quasiment la moitié déclare avoir un smartphone personnel. Des enfants plutôt agités, difficultés à se concentrer.

Second groupe de 16 enfants. Des soucis de concentration, de compréhension et beaucoup d'écrans toute la journée (notamment dans leur chambre mais aussi à la plage et au parc), même s'ils se rendent compte des effets négatifs "pour les yeux et le cerveau", comme des vertus de l'ennui.

L’après-midi, de plus petits effectifs mais toujours des temps d'écrans énormes. Manque d'imagination pour les activités annexes, et on voit qu'ils n'ont pas l'habitude de faire des puzzles (le groupe 1 a vraiment rencontré des difficultés en termes d'habileté manuelle et de logique). Un enfant enfermé chez lui avec la tablette en carence de vitamine D, donc de soleil, très pâle et endormi ; deux autres enfants se sont endormis pendant le conte, tandis que 3 du groupe 2 me disaient déjà qu'ils étaient "fatigués à cause des écrans". Tous ou presque ont fait des cauchemars à cause de films d'horreur et aucun ne semble au courant de la signalétique par âge des programmes. Des soucis de mémoire et d’élocution chez la plupart d’entre eux.

La situation, à mon sens, s'aggrave nettement depuis nos premiers ateliers il y a quelques années.

Enfants de 4-5 ans, classes de grande section – Murielle

Trois groupes de grande section avec une dizaine de moyenne section, une petite quarantaine d’enfants au total. 80 % des enfants de ces groupes (donc des enfants de 4/5 ans) ont un écran à eux (tablette, téléphone pour jouer, console de jeu ou télévision dans leur chambre). Augmentation frappante par rapport à ma venue l’année dernière. Beaucoup avaient l'air très fatigués. Certains avec un langage très pauvre, de grandes difficultés pour faire le puzzle et peu ou pas d'idées d'activités sans écrans.

Enfants de 8-9 ans, classe de CE2 – Aude-Lise

Premier atelier : groupe de 15 enfants, capacité d’attention très faible voire inexistante. Trois d’entre eux passent leur soirée ou partie de la nuit à jouer à GTA¹. La moitié possède un smartphone perso et les 3/4 ont énormément de mal avec la compréhension de consignes, la logique, la réflexion et la concentration.

Second atelier : groupe de 11 enfants très agités. Forte utilisation de jeux vidéo (GTA, Roblox, Fortnite². Trois enfants seulement ont des smartphones personnels, mais ils se plaignent de maux de tête, cou, dos et de cauchemars.

¹ Jeu vidéo classifié « PEGI 18 » c’est-à-dire « destiné aux adultes » selon le système de classification européen.

² Jeu vidéo classifié « PEGI 12 », c’est-à-dire « déconseillé aux moins de 12 ans » selon le système de classification européen.

Enfants de 8-9 ans, classes de CE2 – Murielle et Sarah

Le matin :

Premier groupe de 13 enfants plutôt turbulents. Les ¾ ont un écran dans leurs chambres, un garçon turbulent disait en avoir 5, jouait à Fortnite et regardait des films d'horreurs. Second groupe de 12 enfants assez agités mais bonne dynamique d’atelier. Deux sont épuisés car ont très peu dormi à cause des écrans. Un tiers des élèves (classe entière) dit avoir son propre smartphone.

L’après-midi :

Premier groupe de 11 enfants, sympathiques et participatifs. 9 enfants sur 11 portent ou ont porté des lunettes à cause d’une consommation excessive d'écrans. Second groupe de 12 enfants. On a passé du temps sur les images choquantes, beaucoup ont mentionné les cauchemars et la peur qui revient pendant plusieurs jours après avoir vu certains contenus

Enfants de 9-10ans, classe de CM1 – Aude-Lise

Classe de 25 élèves motivés, communicatifs et en demande de lien social (c'est beaucoup revenu pendant l'atelier). Les parents ont l'air de globalement plus faire attention ici que dans les autres écoles du secteur. Un peu de gaming, des tutos scolaires et pas (encore) de réseaux sociaux bien que les 3/4 aient déjà un smartphone personnel. Quelques petits traumas sur des films d'horreur et des contenus choquants, dont un élève qui s'est complètement fermé quand on a abordé la question. La plupart sont ouverts et prêts à une certaine déconnexion (4Pas), conscients de beaucoup d'effets négatifs du numérique sauf la pollution. Les débats étaient nourris et intéressants.

Enfants de 12-13 ans, classe de 5ème – Murielle

Groupe de 10 jeunes (3 filles/7 garçons). Tous utilisent leur téléphone dans leur chambre le soir, tous ont déjà vu ou subi du harcèlement via les réseaux sociaux. Aucun ne trouve que ses parents consomment trop d'écrans. Environ 3 - 4 garçons avec une consommation extrême d'écrans : nuit blanche devant les écrans, crise d'épilepsie, mal aux yeux etc... Bonne participation et attention malgré tout. La professeure présente aimerait que le collège installe des casiers pour les téléphones.

Ces témoignages donnent à voir l’ampleur de la surexposition des enfants aux écrans ainsi que ses impacts sur leur santé et leur bien-être, et tous les intervenants Lève les yeux font le même constat : la situation ne fait que s’aggraver. Pourtant, les enfants sont plutôt lucides sur les méfaits et les dangers auxquels ils sont confrontés en ligne. La plupart sont prêts à se déconnecter pour échanger en famille, jouer avec leurs amis « dans la vraie vie » … pour lever les yeux tout simplement :)