Note de lecture : "Derrière l’écran combattre l’explosion de la pédocriminalité en ligne" de Véronique Béchu (Stock, 2024) par Maud Paître

Une plongée au cœur de la Brigade de Protection des mineurs pour prendre conscience du désastre en cours en ligne : l'explosion de la pédocriminalité. 

Véronique Béchu est entrée dans la police en 2002. Après des études de droit pénal et de sciences criminelles, elle choisit dès le début de sa carrière la lutte contre les violences faites aux mineurs. Depuis septembre 2023, elle est cheffe du pôle stratégie de l'Office mineurs (OFMIN). Quotidiennement, elle est confrontée à la violence faites aux enfants, violence dont peu de personnes ont conscience de l'ampleur.  

Dans cet ouvrage, Véronique Béchu nous plonge directement à travers un récit personnel au sein de la Brigade de Protection des mineurs et de l'OFMIN. Ce livre naît d'un ressenti : elle ne veut pas accepter le constat de ses collègues pour qui « heureusement que les gens ne se rendent pas compte » ou du Conseil de l'Europe qui pose qu'un enfant sur cinq serait victime de violence sexuelle en ligne ou hors ligne.  

Elle illustre alors chacun de ses propos avec des souvenirs d'enquêtes ou des anecdotes entre collègues qui nous laissent toujours sous le choc d'entrevoir tout ce qui se passe en ligne. Elle nous explique clairement le fonctionnement de "la communauté" - des pédocriminels - qui se partage des photos, des vidéos mais également les nouveautés légales et les bonnes pratiques pour continuer de naviguer en ligne sans se faire arrêter. Certains sont d'ailleurs connus et reconnus grâce à leur pérennité en ligne. Elle revient régulièrement sur le fait que ce n'est pas l'existence de ces atrocités qui laissent sans voix mais l'ampleur : partout, tout le temps et à proximité. Un enfant est victime de violence sexuelle toutes les trois minutes... 

Ces pratiques violentes à l'égard des enfants ont toujours existé. Cependant, l'autrice nous rappelle à quel point Internet favorise la pédocriminalité avec l'explosion de la diffusion de contenus choquants et violents. La pédocriminalité en ligne est partout et tout le temps mais les actes restent cantonnés au cercle proche des mineurs. Les prédateurs trouvent en ligne un moyen d'assouvir leurs pulsions et l'espoir que leurs fantasmes deviennent réalité en regardant ces contenus.  

De plus, même si les victimes ont été identifiées et éloignées de leur agresseur, une fois que les images et les vidéos ont été diffusés, elles resteront à vie sur Internet et elles pourront de nouveau être visionnées. On sait qu'en 10 ans, les contenus ont augmenté de 6000% au niveau mondial et l'Europe est devenu le principal fournisseur d'images et de vidéos pédocriminelles.  

Or, les images et les vidéos circulant ne sont pas que produites par des pervers sexuels. Certaines le sont inconsciemment par des enfants eux-mêmes ou le produit de partages innocents de parents. C'est actuellement 50% des images échangées sur les forums pédocriminels qui proviennent des publications personnelles de réseaux sociaux. Les prédateurs ne peuvent pas résister à ces accès libres et gratuits.  

Le titre « derrière l'écran » rappelle également que tous ces prédateurs en ligne se sentent parfois innocents. Eux, ne font que regarder des vidéos et des images. Ils ne touchent pas l'enfant, ils ne le violentent pas. Ils sont seulement « derrière l'écran ». Cependant, certaines vidéos visionnées à distance sont faites dans l'unique but de gagner de l'argent pour de nombreuses familles d'Asie et notamment des Philippines. Le fait d'être spectateur crée de nombreuses victimes qui subissent les volontés de quelqu'un à l'autre bout de la planète.  

Une fois le livre terminé, nous savons. Mais ce n'est pas pour autant qu'il faut s'enfermer. Il est plutôt souhaitable de permettre une libération de la parole et d'encourager la communication. Il faut répéter aux enfants que personne ne doit les toucher, les caresser ou les embrasser sous contrainte et qu'ils doivent se sentir libres de partager des situations qui leur semblaient étranges. L'autrice finit également par le constat que les évolutions législatives et administratives sont lentes mais elles existent et que chaque pays se mobilise de plus en plus pour punir cette criminalité.  

L'association Lève les yeux, qui dresse les constats des ravages causés par les écrans grâce à sa présence sur le terrain et son travail de lecture et d'analyse, doit donc ajouter à sa triste liste ce sordide effet d'Internet et des réseaux sociaux, de démultiplication des impacts de la pédocriminalité, voire d'encouragement en certains endroits du monde où les actes filmés forment ensuite une source de revenus. Une nouvelle raison, si besoin en était, de s'engager...