L’entreprise Orange diffuse en ce moment sur les écrans de télévision et de cinéma une publicité (à voir sur ce lien) troublante, qui nous a mis, au sein du Collectif Lève les yeux, profondément mal à l’aise. Le film met en scène les doutes d’un père face aux demandes de sa fille en faveur de davantage d’écrans. Il hésite à lui offrir ce smartphone dont elle rêve, puis lui remet enfin au milieu d’un paysage idyllique, bardé de montagnes et d’océan, dans une explosion de joie et de bonheur. Le comble d’aise de la jeune consommatrice se conjugue à la sérénité méditative de la montagne, le ton et la voix off issus des navets mélodramatiques hollywoodiens donnant au tout une dimension quasi épique. Et le slogan de conclure : « nous avons tous de grands pouvoirs. Nous avons tous de grandes responsabilités. »

Que faut-il comprendre ? Orange serait une entreprise « responsable », et tous les pères devraient en faire autant ? A l’évidence, l’ancienne France Telecom tente de peaufiner son image a grands coups d’affiches sur nos murs et de spots vidéos comme celui-ci parant l’entreprise de toutes les vertus : elle a du pouvoir, et elle est responsable.

Lorsqu’une opération de communication aussi grossière est menée il nous semble de notre devoir de rappeler quelques principes importants. Comme pour tout autre opérateur de téléphonie mobile et fournisseur Internet, les hauts dirigeants d’Orange ont des objectifs simples : toujours plus d’outils numériques, toujours plus connectés, toujours plus longtemps, dans toujours plus d’endroits. Leur marge financière est directement corrélée à notre niveau global de « connexion ».

Pourtant la dépendance aux écrans et ses effets, qui font l’objet de nombreuses études scientifiques alarmantes, notamment en ce qui concerne les enfants, représentent désormais une urgence sanitaire et sociétale – avec par exemple la baisse du sommeil, de la mémoire, de la vue, hausse du stress et des dépressions, baisse de l’empathie, violences, troubles de l’attention et décrochage scolaire chez les enfants… Le doute n’est plus permis : nous avons collectivement besoin de « déconnecter ».

Aussi nous dénonçons cette hypocrisie, cette prétendue exemplarité doublée d’un appel à la responsabilité individuelle, alors qu’il faudrait en réalité un engagement bien plus volontariste de la part des entreprises en matière de sensibilisation : par exemple recommander le moins d’écran possible avant 5 ans (comme l’OMS) et rappeler les dangers des écrans pour les enfants comme pour les adultes, voire, soyons utopistes, arrêter de nous bombarder de messages publicitaires qui créent une frustration permanente et alimentent une consommation insoutenable d’un point de vue environnemental.

Pour toutes ces raisons, Lève les yeux a décidé de demander le retrait de cette publicité devant le jury de déontologie publicitaire. Nous espérons que cette action permettra d’attirer l’attention sur la dépendance aux écrans et ses effets catastrophiques et de mettre en garde les entreprises responsables de ce problème contre toute tentative de ce qu’il convient désormais d’appeler le « déconnexion washing ».