Chronique RCF du 7 septembre 2020, par Yves Marry, Cofondateur de Lève les yeux
Cet été, personne n’aura échappé, que ce soit dans le train, à la plage ou à peu près n’importe où, aux grésillements qui débordent des écouteurs et aux images blafardes des smartphones, cigales et lucioles modernes. A tel point que l’on peut se demander : est-ce que les Français lisent encore ? Une étude du Ministère de la culture a apporté une réponse fracassante : les Français lisent encore un peu, mais de moins en moins, et plus pour longtemps.
Certes, les ventes de livres restent bonnes, mais j’ai bien peur qu’il s’agisse d’une illusion d’optique. Toutes les générations lisent de moins en moins et, chez les jeunes, il s’agira bientôt d’une pratique du passé. Deux chiffres afin de se faire une idée plus précise : 40% des Français ne lisent tout simplement jamais de livre (contre 20% dans les années 70). Seulement 10% des jeunes de 15-24 ans sont des lecteurs assidus (20 livres par an), confirmant une baisse régulière depuis 50 ans. A ce rythme, plus aucun jeune ne lira d’ici 2040… et c’est la mort programmée de la lecture.
De leur côté, la télévision se maintient à des niveaux hallucinants tandis que je jeu vidéo, lui, explose. Faut-il vraiment s’inquiéter ? Certains voient dans le numérique une simple évolution de la culture, sans que cela soit une mauvaise chose pour la société ? C’est précisément à cette forme de relativisme malheureusement très répandu que je veux m’opposer ici. Pour reprendre les termes du théoricien américain des médias Neil Postman, je dirais même que, au moins en partie, la « technologie détruit la culture », sous titre de son ouvrage « Technopoly » paru en 92 et traduit l’an dernier aux éditions L’échappée.
Non, la lecture ne vaut pas un jeu vidéo, elle en est même, à bien des égards, l’antithèse. Terreau fertile du langage, de l’imagination, ou encore de l’intelligence, la lecture nous élève. Elle forme ainsi l’un des socles de notre civilisation. De son côté, la console de jeu nous excite, nous distrait, et comme tous les autres écrans d’après Sylvain Tesson, elle « aplatit l’imagination ». L’une renforce nos capacités cognitives en stimulant la mémoire et la capacité de concentration, permettant un meilleur sommeil, l’autre produit les effets exactement inverses, comme nombre d’études l’ont montré.
Aussi, face à ces terribles constats, il ne faut pas avoir peur de remettre en cause certaines facettes du progrès technologique. La « révolution numérique » n’est pas « intrinsèquement » positive, ou même « neutre ». Elle a bien sur nombre d’avantages, mais elle est devenue en partie dangereuse pour notre société, on le voit avec la disparition annoncée de la lecture et il nous faut l’affronter avec lucidité. Une conclusion de bon sens, par exemple, serait de mettre fin au déploiement irraisonné du numérique à l’école, proposition que je développerai dans une future chronique.
Laisser un commentaire