Yves Marry, cofondateur de Lève les yeux, a réalisé sa dernière chronique de l’année dans la matinale de RCF le 28 juin 2021.

Les anciennes chroniques sont accessibles à cette page, sur le site de la radio.

Et voici donc la version écrite de cette 18e chronique :

 

Pour cette dernière chronique vous avez voulu revenir sur la question de la démocratie à l’heure des réseaux sociaux et des fameuses « bulles algorithmiques »

Oui, je m’étais interrogé lors d’une précédente chronique sur la possibilité d’avoir un véritable débat à l’heure du numérique, montrant en quoi la structure même des réseaux sociaux favorise l’émotion sur la raison, et ainsi la simplification des termes du débat, toujours plus binaires.

La multiplication des cas de harcèlement en ligne et de violence verbale dans le champ politique ces derniers mois m’ont donné envie d’approfondir un peu plus ce sujet fondamental pour l’avenir de notre démocratie.

 

A quels évènements pensez-vous ?

Eh bien ces derniers jours s’est tenu le procès des agresseurs de la jeune Mila qui, à 16 ans, avait critiqué l’Islam sur Instagram avant de recevoir des dizaines de milliers d’insultes, menaces de viol ou de mort. Ces accusés ont donc menacé de mort, mais ne réalisaient pas du tout l’ampleur de leur parole. Ils ont écrit « sans intention », disent-ils. La victime, elle-même, a-t-elle beaucoup réfléchi avant de poster ses messages à propos d’une religion dont on peut douter qu’elle soit experte ? Ainsi, des pensées pulsionnelles d’adolescents qui, dans un monde normal seraient rester au fond de leur esprit, échangés dans une discussion amicale voire, posés, à la limite, dans un journal intime, se retrouvent partagés et diffusés des dizaines de milliers de fois sur internet, saturant l’attention collective.

On pourrait évoquer la vidéo du youtubeur Papacito, accusé par Jean-Luc Mélenchon « d’appel au meurtre » dans une vidéo des plus douteuses, qui a « fait le buzz », ou encore les innombrables saillies verbales du premier polémiste de France, Eric Zemmour, sur CNews, qui cisèle toutes ses outrances afin qu’elles choquent et ainsi qu’elles circulent le plus vite possible sur internet, et peu importe si elles sont mensongères ou incitent à la haine, l’important étant d’être vu et entendu.

Outre ces éruptions médiatiques qui corrodent le corps social français, il faut aussi mesurer l’incompréhension croissante qui sépare les citoyens, toujours plus isolés dans des « bulles » à mesure qu’ils s’informent sur internet. Des bulles qui éloignent encore davantage les citoyens entre eux et qui aggravent, en fin de compte, le cercle vicieux mortifère de la violence.

 

Et pour sauver la démocratie, vous appelez à quitter ces bulles ?

Oui, car tous ces déchirements au sein de la société française à partir de pensées pulsionnelles d’adolescents, ou de provocations de politiciens à la petite semaine, font des millions de malheureux, et ne font que deux véritables heureux : Jack Dorsey et Mark Zuckerberg, les patrons de Twitter et Instagram, les champs de bataille qui nous servent désormais d’Agora.

Dans ma chronique de novembre dernier, j’avais suggéré une idée simple : que les personnes qui ont de l’influence quittent Twitter afin de montrer l’exemple et de déplacer cette Agora. RCF doit être très écoutée, car en mars et en avril, ce sont l’ancien footballeur français Thierry Henry puis la maire de Barcelone, Ada Colau, qui ont quitté Twitter pour protester « contre le harcèlement en ligne » pour l’un et « pour que l’amour l’emporte sur la haine », pour l’autre. Deux très beaux exemples à méditer.

Avant de vous quitter, donc, un appel à quitter le monde virtuel, flatteur d’égo, fournisseur de dopamine, rassurant, mais in fine aliénant et dangereux pour notre démocratie.

Préférez l’amour à la haine, soyez libres penseurs, quittez vos bulles, quittez Twitter.