PROPOSITIONS POUR UNE ÉDUCATION HUMAINE AU XXIe SIÈCLE

Éduquer AU numérique, ce n’est pas éduquer PAR le numérique

 

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Depuis une trentaine d’années, les autorités politiques européennes et françaises ont choisi d’avancer tête baissée vers la numérisation de l’éducation, de la petite enfance à l’enseignement supérieur, sans jamais s’interroger sur la pertinence éducative d’un tel projet, ni sur ses conséquences en matière de santé, de vivre ensemble ou d’écologie. La crise du COVID-19, survenue au printemps 2020, a ensuite été l’occasion d’une accélération sans précédent de cette numérisation.

Si l’éducation aux outils numériques semble pertinente à partir du collège, et si la crise sanitaire impose des mesures d’exception, cela ne justifie en rien la généralisation du numérique comme « moyen » d’apprentissage, dont aucune étude sérieuse n’a pu démontrer une quelconque vertu pédagogique, bien au contraire. Certes, cela peut représenter un levier de croissance pour les entreprises de la Ed Tech ou pour les GAFAM, mais depuis quand l’intérêt économique prévaut-il dans le champ de l’éducation, en France ?

Pour nos associations, engagées au quotidien auprès des familles dans la prévention des risques et des impacts de la technologie numérique sur la société, cette politique publique doit urgemment être remise en question. C’est pourquoi, réunis au sein du « Collectif Attention », nous interpellons les candidates et candidats aux élections régionales et départementales de juin 2021 sur la place de la technologie numérique dans l’éducation, en leur quatre soumettant des propositions argumentées, applicables dans le cadre de leur futur mandat :

  1. Une politique publique de prévention des risques liés à la surexposition aux écrans
  2. La fin du numérique imposé dans l’éducation
  3. Un droit à la déconnexion des familles et des enseignants
  4. Un débat démocratique sur le numérique éducatif

 

 

NOS PROPOSITIONS

 

  1. Pour une politique publique de prévention des risques liés à la surexposition aux écrans

En réponse aux constats alarmants du terrain (voir « Nos arguments »), un certain nombre de collectivités territoriales et d’Agences régionales de santé financent d’ores-et-déjà des initiatives de prévention des risques liés à la surexposition aux écrans, au premier rang desquels les risques sanitaires et humains (troubles du sommeil, du langage, du vivre-ensemble, etc.), ainsi que l’exposition à la violence, au cyber-harcèlement et à la pornographie. Nous invitons les futurs élus à accentuer l’effort en ce sens, auprès de tous les établissements dont ils auront la charge, notamment : accueils petite enfance, collèges et lycées.

Cette politique de prévention ne saurait être la seule réponse à apporter, mais elle apparaît en effet fondamentale à l’heure où la jeunesse française passe la majeure partie de son temps éveillé devant un écran[1], essentiellement pour des contenus de divertissement. Que ce soit dans le cadre de l’éducation aux médias ou de prévention de la santé, il faut déployer un vif effort de sensibilisation, en respectant toutefois trois conditions :

  • La sensibilisation doit concerner le « monde éducatif » au sens large: élèves, mais aussi parents et communauté éducative, incluant enseignants, direction et médecine scolaire ;
  • Les associations ou institutions sollicitées doivent impérativement pouvoir démontrer une absence de conflit d’intérêt, autrement dit ne pas être financées par l’industrie numérique, qui a investi le champ de la prévention pour mieux l’influencer ;
  • Le message de sensibilisation doit clairement énoncer les risques et proposer de véritables solutions, par exemple :
    • Pour la petite enfance : le message de l’Organisation Mondiale de la Santé, invitant au « moins d’écran possible »[2] avant 5 ans, devrait être privilégié ;
    • À partir de 6 ans : La « méthode des 4 Pas »[3] pour ne pas utiliser d’écran dans la chambre, le matin, pendant le repas et avant de dormir.

Enfin le « Défi sans écran » sera favorisé : mis en œuvre avec succès en France depuis une vingtaine d’années[4], il apparaît comme le meilleur moyen de sensibilisation à ce jour, permettant aux participants de découvrir les bienfaits de la déconnexion.

 

  1. La fin du numérique imposé dans l’éducation

De la maternelle à l’enseignement supérieur, il semblerait que le projet des pouvoirs publics européen et français soit de mettre fin aux livres et aux cahiers pour les remplacer par des tablettes (de la maternelle au collège) ou des ordinateurs (lycées). L’idée se présente sous des atours séduisants : cartables plus légers, information concentrée et sauvegardée, préparation aux usages dominants du monde professionnel. Pour beaucoup de collectivités, offrir des tablettes est apparu comme une opportunité de faire un « cadeau » aux administrés tout en contribuant à améliorer l’éducation.

Pourtant, la réalité est bien loin du conte de fée. Le coût écologique et économique de ces appareils est colossal. Mal adaptés, rapidement obsolètes, ils finissent le plus souvent dans un placard ou sont détournés pour servir de consoles de jeux, quand les données ne sont pas collectées au profit d’industriels peu soucieux de l’intérêt général. Favorisant la déconcentration, ennemis de la mémorisation, ils sont bien davantage les ennemis que les alliés de l’apprentissage.

Ainsi, tant qu’aucune étude sérieuse – et indépendante – ne démontrera le fameux « bénéfice coût avantage » de ces terminaux numériques, il est recommandé d’arrêter leur distribution et de maintenir l’usage des livres et cahiers imprimés. À l’avenir, à des fins élémentaires de démocratie, toute introduction d’outils numériques dans les établissements scolaires devrait préalablement faire l’objet de concertation et de validation par les parties prenantes de l’établissement (enseignants, médecine scolaire, direction, parents d’élèves et élèves).

 

  1. Droit à la déconnexion des familles et des enseignants

La distribution massive de terminaux numériques s’est doublée d’un nouveau moyen de communication entre familles et établissements scolaires : les « espaces numériques de travail » (ENT). Là encore, la solution est apparue comme miraculeuse : immédiateté des échanges, stockage des informations, économie de papier… Tandis qu’au quotidien, enseignants, chefs d’établissements, parents et élèves croulent sous les mails, et subissent le stress déjà imposé au monde du travail sommé d’être connecté en permanence.

Familles et enseignants devraient pouvoir choisir librement d’accepter ou de refuser l’usage de ces espaces numériques, ou des écrans comme moyens d’apprentissage.

 

  1. Pour un débat démocratique sur le numérique éducatif

L’arrivée massive des outils numériques dans tous les champs de l’existence s’est toujours faite sans le moindre débat, sans la moindre concertation – qu’on songe aux compteurs Linky ou à la 5G. Pourtant, il s’agit, en matière d’éducation, d’une évolution décisive aux conséquences extrêmement importantes dans la vie des citoyens, qui devraient pouvoir être informés et s’exprimer librement sur le sujet avant de les voir s’imposer dans les mains de leurs enfants.

Les collectivités territoriales devraient organiser des débats, à leur échelle, sur la place du numérique dans l’éducation. Il est recommandé d’y associer la société civile, avec des associations et collectifs locaux ou nationaux, en plus des habitants intéressés, et d’éviter le piège des parties prenantes travaillant au service de l’industrie numérique (à travers des déclarations sur l’honneur d’absence de conflits d’intérêts par exemple).

 

NOS ARGUMENTS

 

  1. L’éducation humaine est plus souhaitable que l’éducation numérique

La plupart des études ne sont pas parvenues à démontrer un effet positif du numérique sur les apprentissages, sauf sur des compétences très ciblées en laboratoire. Au contraire : l’étude de référence PISA, de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), réalisée en 2015, révèle que les pays qui ont le plus bas niveau scolaire sont ceux qui utilisent le plus les outils numériques :

« (…) lorsqu’elles (les TIC) sont utilisées en classe, leur incidence sur la performance des élèves est mitigée, dans le meilleur des cas. En effet, selon les résultats de l’enquête PISA, les pays qui ont consenti d’importants investissements dans les TIC dans le domaine de l’éducation n’ont enregistré aucune amélioration notable des résultats de leurs élèves en compréhension de l’écrit, des mathématiques et en sciences »[5]

L’éducation passe avant tout par le lien humain direct entre l’enseignant et l’élève, comme l’a parfaitement illustré l’expérimentation à grande échelle qu’ont été les deux épisodes d’enseignement dits « distanciels » aux printemps 2020 et 2021 lors des confinements. Tous les témoignages vont dans le même sens : la déshumanisation de l’enseignement est une catastrophe éducative.

 

  1. Il faut éviter d’aggraver les inégalités sociales

L’éducation en France, déjà confrontée au défi de la reproduction des inégalités sociales, doit conserver sa mission en faveur de l’égalité des chances. Toutefois, si l’école publique généralise l’usage du numérique au détriment de l’éducation humaine, alors ceux qui peuvent se le permettre feront le choix du privé, comme c’est déjà le cas aux Etats-Unis. Dans la Silicon Valley, il est courant de payer à ses enfants une éducation dans une école « Waldorf », sans écran jusqu’à 14 ans, en lien avec la nature et les humains, afin d’éviter les écoles publiques passées au tout numérique (l’enseignement de l’écriture manuscrite a disparue dans 45 Etats sur 50 aux Etats-Unis).

 

  1. Il faut protéger les enfants
  • Face aux risques sanitaires

Les impacts sanitaires de la surexposition aux écrans sont aujourd’hui connus :

    • En empiétant sur le temps de sommeil et d’activité physique, la surexposition aux écrans entraîne en cascade de nombreux troubles physiologiques et représente notamment un facteur d’obésité;
    • L’excès de temps d’écran nuit au développement de l’enfant, entraîne une hausse de la myopie et des retards psychomoteurs ;
    • Il existe un risque réel de dépendance: les organismes engagés dans la lutte contre les addictions ont intégré les écrans à leurs listes de drogues, et des services hospitaliers proposent aujourd’hui des prises en charge ciblées (désintoxication) ;
    • Enfin, l’ANSES recommande de « limiter l’utilisation par les enfants des dispositifs électroniques émetteurs (tablettes, téléphone, etc .)» pour les protéger des champs électromagnétiques[6].

 

  • Face aux risques cognitifs et psychologiques 

Les dégâts provoqués par les écrans sont protéiformes et largement démontrés. Les études indépendantes, de même que l’observation au quotidien sur le terrain, permettent ainsi de constater :

    • Les impacts sur l’attention, la concentration, la mémoire et le langage, facultés cognitives fondamentales ;
    • Le manque d’interactions avec les adultes, entraînant des troubles de la relation ;
    • La hausse du mal-être chez un grand nombre de jeunes souffrant d’isolement, d’exposition à des contenus inappropriés (haine, violence, pornographie, neuromarketing) ou de cyber-harcèlement.

 

  1. Il faut préserver le vivre ensemble

L’usage intensif des réseaux sociaux et des jeux vidéo – principaux contenus regardés par les jeunes – met à mal le « vivre ensemble » :

  • Baisse de l’empathie, et plus largement de l’attention portée aux autres, qui menace la capacité à « faire société » et ainsi l’ambition de la fraternité portée par la République ;
  • La dépendance provoquée par les applications génère une baisse de l’autonomie individuelle ;
  • Dans le champ de l’information, les fausses nouvelles tendent à gagner en visibilité – six fois plus virales que les vraies – et à éroder la confiance dans les institutions ;
  • Les réseaux sociaux, nouvelle Agora, polarisent à l’extrême les débats, font triompher l’émotion au détriment de la réflexion et accentuent l’intolérance.

 

  1. Le numérique a un coût écologique important et croissant 

En dépit d’un mythe persistant, la technologie numérique n’a rien d’écologique, bien au contraire. De l’extraction des terres rares nécessaires à sa production à la gestion des déchets électroniques en passant par la fabrication des terminaux, ou encore le stockage des données, le cycle de vie des objets numériques contribue lourdement au dérèglement climatique (4% des émissions de Gaz à effet de serre, soit davantage que le secteur aérien) et est particulièrement polluant (Shift project).

Augmenter la numérisation de l’éducation ne fera que contribuer à la croissance rapide de l’impact énergétique du numérique (hausse de 9% par an), en contradiction directe avec les objectifs fixés par la COP 21 d’une baisse des émissions à hauteur de 40%.

 

  1. Le numérique a un coût humain 

L’extraction minière, la fabrication des composants électroniques puis leur gestion en fin de vie reposent en partie sur une exploitation humainement inacceptable de populations précaires, dont de jeunes enfants, notamment en Afrique et en Asie.

 

[1] Baromètre de la santé visuelle 2019 – OpinionWay pour l’AsnaV

[2] Lignes directrices de l’OMS sur l’activité physique, les comportements sédentaires et le sommeil de l’enfant de moins de cinq ans (2019)

[3] Méthode initiée par le CoSE (Collectif Surexposition Ecrans) qui a démontré son efficacité

[4] Méthode initiée en France par l’association « Enfance-Télé : Danger ? » dès 1994 et popularisée notamment par l’association canadienne Edupax

[5]Extrait du rapport PISA, OCDE, 2015

[6] Avis « Radiofréquences et santé des enfants » de 2016

 

COLLECTIF ATTENTION

Tous attentifs à la surexposition aux écrans

Associations signataires de ces propositions :

  1. Alerte Écrans
  2. Nous Personne
  3. Chevaliers du Web
  4. CoSE (Collectif contre la Surexposition aux écrans)
  5. Enfance – télé : danger ?
  6. L’ACUNE (association contre l’utilitarisme et le numérique éducatifs)
  7. Lève les yeux !
  8. Le collectif du Vallon (Aveyron) d’information sur les objets connectés et champs électromagnétiques artificiels
  9. OPE (Orthophonie Prévention Écrans)
  10. Parents Unis contre le smartphone avant 15 ans
  11. Priartem – Pour Rassembler, Informer et Agir sur les Risques liés aux Technologies ElectroMagnétiques.
  12. Sciences critiques
  13. Screenpeace
  14. Technologos

 

Contact presse :

Yves Marry
Délégué général de Lève les yeux
E : yves@levelesyeux.com
Tel : 06.87.06.87.35